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Syndrome de Stockholm et « Syndrome de la jeune fille violée »


Syndrome de Stockholm et « Syndrome de la jeune fille violée »

Essai de psychopathologie sociale
L’élargissement da la fracture sociale en Afrique est une constante de ces dernières années. La principale caractéristique de l’élite africaine est son incapacité à la combler. Il s’établit ainsi au fil des années une situation malsaine dans laquelle les « populations africaines (sont) condamnées à admirer une petite classe de la bourgeoisie et de l’élite politique gérer les affaires publiques, tout en croupissant elles mêmes dans la misère la plus intolérable. »[1]
Dès lors se pose la question du pourquoi et du comment de l’incompétence de l’élite à sortir les sociétés africaines de la pauvreté. Nous nous intéressons ici aux ressorts psychopathologiques  des rapports entre les peuples et leurs élites en Afrique à travers une grille de lecture clinique. De notre point de vue, cette fracture sociale a aussi une dimension mentale au sens pathologique du terme. C’est l’objet de cet essai.

1.   Le peuple et le Syndrome de Stockholm

Le Syndrome de Stockholm a été décrit pour la première fois en 1978 par le psychaitre américain F Ochberg. Son nom fait référence à un fait divers qui eût lieu à Stockholm en 1973[2]. Six malfaiteurs tentèrent de dévaliser la Banque du Crédit Suédois. Pendant plusieurs jours, ils retinrent en otage les employés présents dans les locaux au moment de l’assaut. A l’issue du fait divers , les fonctionnaires pris en otage clamèrent leur sympathie pour leurs agresseurs et témoignèrent ensuite en leur faveur devant le tribunal. Une photographie montrant une employée de la banque embrassant une des ravisseurs fut publié dans un journal à l’époque.
Un autre exemple emblématique est celui de Patricia Hearst, fille de Randolph Hearst, magnat de la presse aux Etats-Unis[3]. Elle fut enlevée le 4 février 1974 par l’ l’Armée de libération symbionaise (ALS). Elle est âgée de 19 ans. Le groupe terroriste promet de délivrer la jeune fille si le père de celle-ci fait distribuer de la « nourriture de bonne qualité » à tous les pauvres de la Californie. Randolph Hearst se plia et dépensa environ deux millions de dollars dans la livraison d’aliments aux catégories sociales concernées, 70 dollars par personne. Les livraisons furent arrêtées après qu’une émeute eût éclaté au cours de l’une d’entre elle. Patricia Hearst finit par adhérer aux convictions de ses ravisseurs. Le 15 avril 1974, elle participa au braquage de la Hibernia Bank de San Francisco. Elle fut condamnée à 7 ans de prison, ramené à 23 mois par le président Jimmy Carter.
Il faut trois conditions pour constituer le Syndrome de Stockholm :
-  un sentiment de sympathie de la victime pour son agresseur
-  un sentiment de sympathie de l’agresseur pour sa victime
-  une hostilité de la victime à l’endroit des forces de l’ordre
La quatrième condition (discutable) serait que les concernés ne soient pas au courant de l’existence du syndrome.
Le mécanisme psychopathologique serait principalement l’identification à l’agresseur, une identification réalisée dans un contexte d’angoisse voire contre une angoisse de mort imminente.
L’observation des sociétés africaines permet d’identifier la triade constitutive du Syndrome de Stockholm : agresseurs, victimes et forces de l’ordre (Tableau 1).
Tableau 1 : Transposition de la triade du Syndrome de Stockholm à la situation de l’Afrique
Triade
Syndrome de Stockholm
Sociétés africaines
Victime
Otages
Peuple
Agresseur
Terroristes
Gouvernants
Libérateurs
Forces de l'ordre
Diaspora, ONG…


____________________________________________________________________________


Les peuples africains, otages des pouvoirs de terreur, souffrent également de ce syndrome de Stockholm. Plutôt que de leur reprocher d’applaudir pour le bourreau il y a lieu de faire attention à cet aspect. Pour que le Syndrome de Stockholm « prenne », l’agresseur doit être capable de conceptualisation idéologique et de conviction suffisante pour justifier son acte auprès de la victime. Ce n’est pas ce qui manque en Afrique. L’outil de propagande est fort et bien rodé. Serait-ce cela qui expliquerait que paradoxalement ce soit les zones les plus touchées par la crise congolaise qui aient le plus voté pour Joseph Kabila ? La question mérité d’être posée car en effet c’est justement là où on compte le plus des viols et exactions que le président sortant réalise ses meilleurs scores. C’est peut-être dans ce cadre là qu’il faudrait penser la fascination quasi religieuse que l’on observe entre les africains et leurs chefs d’état.
Si le comportement du peuple rappelle le Syndrome de Stockholm, celle de l’élite relève probablement d’un autre mécanisme psychopathologie que nous essayons de cerner dans le paragraphe qui suit.

2.   L’élite et le « Syndrome de la jeune fille violée »

Le Syndrome de la jeune fille violée  n’est pas une maladie reconnue comme telle par l’Organisation Mondiale de la Santé. Il est souvent évoqué par des intellectuels africains autour des débats sur la traite négrière[4].
A la suite d’un viol, la victime peut développer une forme de dépression réactionnelle avec des idées de culpabilités. Elle finit par se convaincre dans le cadre d’un processus morbide qu’elle est en fin de compte responsable de ce qui lui est arrivé. Chaque fait, chaque geste, chaque circonstance liée à l’agression est réinterprétée comme une erreur de sa part. Ainsi le fait d’avoir porté une minijupe, le fait d’avoir quitté la soirée tardivement, le fait d’avoir consommé de l’alcool ou fumé un joint, le fait de n’avoir pas  résisté, le fait de n’avoir pas crié etc… Si ces comportement peuvent être considérés comme des « facteurs de risque », ils ne peuvent en aucun cas dédouaner l’agresseur ni annihiler le statut victimaire de la jeune fille violée.
Le Syndrome de la jeune fille violée peut être défini comme une forme particulière de dépression réactionnelle marquée par des idées de culpabilité récurrentes à la suite d’un viol. La victime présente en plus un ralentissement psychomoteur important. Ce dernier peut être si important que la victime est incapable de porter plainte.
Beaucoup d’intellectuels africains – surtout ceux qui ne sont pas aux affaires – semblent souffrir du Syndrome de la jeune fille violée. Au cours des conférences et réunions publiques ou dans différents fora sur le net, leurs interventions consistent en général à rappeler inlassablement que les Africains étaient responsables de ce qui leur tombait sur la tête. « Un peuple n’a que les chefs qu’il mérite », « Si les autres nous dominent, c’est parce que nous somme faibles »…Si ces aphorismes contiennent une petite part de vérité, ils ont les défauts de la réduction et  de la culpabilisation et partant celui de l’inaction. Un problème cerné en partie ne pouvant pas être résolu de manière efficace, les idées de culpabilité inhérente au Syndrome de la jeune fille violée portant en sus les germes de l’inaction, voilà qui pourrait expliquer que les démonstrations brillantes de nos intellectuels soient si peu opérationnelles. Si prompts à critiquer les initiatives qui leur sont étrangères, ils demeurent incapables de propositions concrètes. L’élite africaine, qu’elle soi au pouvoir ou non, loin d’être une solution, fait plutôt partie du problème des peuples africains.

Conclusion

 Le fossé qui sépare l’élite du peuple en Afrique ne semble pas prêt de se combler. La grille de lecture clinique appliquée dans le cadre de cet essai a mis en lumière une différence psychopathologique entre les deux groupes. Elle permet dans une certaine mesure de comprendre l’inertie dans laquelle sont plongées les sociétés africaines. Sortir de la pauvreté devrait passer par une prise en charge psychopathologique.

Magloire Mpembi Nkosi

 


[1] Georges Owona Mbida Otto, La fracture sociale comme contrainte au processus de démocratisation et à la paix en Afrique noire, http://www.irenees.net/fr/fiches/analyse/fiche-analyse-894.html. Consulté le 18 décembre 2011.
[2] Oliveira Edmundo , « Nouvelle victimologie : le syndrome de Stockholm », Archives de politique criminelle, 2005/1 n° 27, p. 167-171.
[3]Oliveira Edmundo , art. cit.
[4]Jean-Philippe Omotunde notamment.


19/12/2011
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