Kinshasa Chérie
Kinshasa Chérie...
Des morts autour de moi…
A Kinshasa, on finit par avoir l’impression qu’il y a trop de morts ! En une semaine, j’ai appris le décès de sept personnes que je connaissais plus ou moins ou qui étaient très proches des gens que je connaissais bien. Sept décès, c’est sept cérémonies de deuil auxquels je dois participer/assister. Pour se donner le temps d’avertir toute la famille – en réalité le temps de rassembler l’argent nécessaire à l’enterrement de l’être cher, de permettre à la branche de la famille expatriée en Europe, aux Amériques ou en Afrique du sud – les funérailles sont fixées au moins une semaine plus tard, de préférence le week-end pour permettre à un maximum des gens intéressants d’y prendre part. Difficile de venir à un deuil pendant la semaine, car on travaille, on cherche l’argent. Voilà que mon week-end est plombé à présent. Je suis obligé d’ouvrir les pages de mon agenda pour confectionner un horaire du Vendredi soir à Dimanche midi.
Trouver le moyen de prendre part à chacun de ces deuils…s’ils étaient tous situés à Kinshasa. Ce n’est pas le cas. Au moins deux sont dans le Bas Congo, à 200 Km. Deux belles-sœurs y sont décédées des suites des couches : elles étaient à l’âge où l’on rêve d’élever ses enfants. Je ne saurai m’y rendre et revenir dans la journée pour assister aux funérailles d’une belle-mère, décédée après une lutte héroïque contre la grande faucheuse qu’elle côtoyait depuis de nombreuses années. En même temps un beau-frère a été assassiné chez lui sur les hauteurs du Mont Gafula par des hommes en uniforme non autrement identifiés qui étaient convaincus de trouver des liasses des billets de dollars américains dans la maison d’un fonctionnaire. Ces hommes en uniforme qui n’attaquent jamais les banques ou les pontes du pouvoir, qui distribuent les billets de banque à longueur de journée, mais ne s’en prennent qu’à des paisibles citoyens. La balle dans la poitrine ne lui a laissé aucune chance. Ils ont creusé, fouillé, bêché et retourné la maison, des dollars ils n’y en avait point. Il est parti, laissant derrière lui deux jeunes enfants et une veuve éplorée. Il y a aussi eu le décès de ce gars que j’ai côtoyé à l’école. Il n’était pas enseignant. Il était ouvrier. Il faisait tout. Il était l’une de ces petites mains qui rendaient les salles de cours propre, qui les éclairaient, qui y plaçaient les bancs etc…On a raconté que son oncle qui voulait vendre la parcelle familiale l’a purement et simplement bouffé. Il faut écouter ses oncles si l’on veut vivre longtemps. Dans le quartier où j’habite, un copain d’enfance est également décédé. Il avait été mord par un chien quelques jours plus tôt. Sur le chemin de l’hôpital, il s’est arrêté à un débit de boisson. On l’a ramené chez lui ivre-mort. Son oncle a cru qu’il était mort et l’a emmené à la morgue. Il y est mort de froid en fin de compte. Mort et enterré. Un mort de plus, un mort de moins, quelle importance. Toujours dans le quartier, une autre jeune fille de 15 ans est morte. Son visage augmentait de volume depuis environ cinq mois, sans raison. Ce visage prenait du volume plus vite que le reste du corps, trop vite au point d’inquiéter ses parents. Tellement vite qu’elle en est morte. Morte comme la femme d’un oncle à ma mère dont je ne verrai pas le corps. Trop de morts autour de moi, trop peu de temps pour assister à toutes les funérailles.
Un couple de schizophrènes…qui dérangeait
Au bord de la grande route, celle-là même qu’emprunte chaque jour le Vice-Premier Ministre dont l’intelligence est reconnue aussi et surtout par ses adversaires politiques (les mauvaises langues disent même que c’est lui qui dicte la conduite du Premier Ministre), non loin du Complexe scolaire « Les Eucalyptus », quasiment en face du site définitif de l’Université Catholique du Congo s’est installé un couple de schizophrènes. Ils sont construit leur maison avec tout ce qu’ils sont pu rassembler comme détritus, rassemblés à la manière d’un igloo. On ne peut pas ne pas les voir. Dans les transports en commun, les commentaires vont bon train, surtout lorsque le matin, dans un geste tendre, la femme pédicure son mari ou lui offre un gobelet de thé. Il y avait d’abord l’homme qui s’était installé. Il a été rejoint plus tard par la femme. Ils se réfugiaient dans leur château sous la pluie ou sous la chaleur. Ils étaient là comme un pied de nez à ce cortège officiel qui chaque matin fend son chemin dans les embouteillages.
Je pensais que le Vice-Ministre derrière les vitres noirs de sa voiture 4x4 tout terrain les voyait pas. Peut-être. Aurait-il donné l’ordre de les faire déguerpir ? Je ne le sais. En tout cas, un matin, j’ai vu que l’igloo avait été détruit, brûlé, m’a-t-on dit par un escadron des policiers. Où est passé le couple ? Personne ne le sait. Sa présence dérangeait quelqu’un. Le problème a été réglé, provisoirement.
Dans le parc
Je vois des dizaines de parents accompagnant leurs enfants dans ce parc où il fait beau. Le soleil est de retour. Les envies de nature aussi. Dans cette ville multiculturelle qu’est Montréal, des Indiens, des Asiatiques et des Africains se croisent dans le parc. Les parents parlent à leurs enfants dans leurs langues maternelles, tous à l’exception des Africains qui parlent Français ou Anglais. Voilà belle lurette qu’ils n’ont plus ni langue, ni culture, ni références propres : ils sont obligés comme moi, pour exister, de singer éternellement…
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 62 autres membres