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Au-delà de l'interdiction des concerts des musiciens congolais en Europe...

Au-delà de l'interdiction des concerts des musiciens congolais en Europe...

 

Quelques heures après les échauffourées ayant conduit à l'interdiction du concert d'Héritier Watanabe à l'Olympia de Paris, il est nécessaire de prendre du recul et d'essayer dans la mesure du possible de comprendre ce qui est en jeu dans cet affrontement entre les Combattants1 et les artistes musiciens congolais. Le texte qui suit peut être subdivisé en trois parties. La première explique ce que l'interdiction des concerts signifie pour les combattants, la deuxième rappelle le rôle des artistes en général et des musiciens congolais en particulier dans une société (congolaise) en crise et la troisième s'interroge sur les issues possibles à explorer dans le contexte actuel de la République démocratique du Congo.

De quoi l'interdiction des concerts est-il le nom ?

Le mouvement des combattants émerge il y a une dizaine d'années dans les milieux congolais de la diaspora. L'invasion du pays par la coalition rwando-burundo-ougandaise, le déficit de démocratie, la misère des familles restées au pays ont servi de catalyseur à une prise de conscience aigue de la diaspora sur la situation catastrophique du pays. Un autre facteur qui pourrait également être évoqué est la crise financière mondiale de 2007-2010 au cours de laquelle beaucoup d,emplois et des revenus ont été perdus. Il faut savoir que les congolais de la diaspora par les transferts d'argent soutiennent de manière substantielle ceux qui sont restés au pays et dont la situation s'empire au jour le jour. Le mouvement des combattants s'est propagé comme une traînée de poudre dans tout l'Occident notamment à la suite du contentieux électoral qui a opposé Joseph Kabila à Feu Étienne Tshisekedi en 2011. Plusieurs manifestations ont été organisées à Paris, Londres, Bruxelles, Washington, Ottawa etc...etc... pour dénoncer ce que les combattants considéraient comme étant le vol du vote du peuple mais aussi le soutien des gouvernements occidentaux à un régime supposé violent et antidémocratique sur fond d'occupation du pays par des troupes rwandaises ou des rebellions fantoches à la solde du gouvernement de Kigali.

Ainsi le Congolais de la diaspora qui pendant longtemps était perçu comme insouciant, flambeur, bling-bling, se réveillait de sa torpeur et prenait conscience de la nécessité qu'il y avait à changer les choses au pays. La propagande (de Kigali) les présentant comme des BMW2 les touchait dans leur amour propre.

Un peu comme des ardents néophytes convertis, les Congolais de la diaspora sont souhaité que les musiciens congolais, ces leaders d'opinion qui drainent des foules, prennent aussi leur part dans cette lutte pour la libération du pays. Mais ceux-ci pour des raisons plus ou moins avouables (voir plus bas) ont rechigné à jouer ce rôle, en se réfugiant derrière un apolitisme affiché, tout en chantant au pays pour la gloire des dirigeants...Cette attitude ambiguë a eu pour effet de creuser un immense fossé entre ces artistes jadis adulés de la diaspora. Un consensus s'est dégagé pour suspendre la production des concerts des artistes congolais tant que le pays ne sera pas sorti de l’œil du cyclone. Il s'agit au final d'une action purement symbolique pour marquer le drame que traverse le pays : plus de six millions des morts, des milliers des déplacés, des massacres à la pelle, et un état incapable d'assurer le minimum de sécurité pour ses habitants.

Le caractère symbolique de cette interdiction répond en lui-même aux critiques entendues ça et là sur le peu d'efficacité quant au but final qui serait la fin de l'actuel pouvoir de Kinshasa. Il s'agit là d'un faux procès. Pas plus que l'acte d'une femen urinant dans une église catholique ne change la position du pape sur l'avortement, l'interdiction des concerts a le mérite d'occuper l'espace médiatique sur la situation du Congo. La couverture médiatique de l'interdiction du concert de Watanabe ce 15 juillet 2017 en est la démonstration en temps réel. Il faut par la suite capitaliser au maximum pour communiquer par exemple sur ces fosses communes que l'on découvre chaque jour au Kasaï.

A ce niveau, on pourrait au minimum convenir que contrairement à ce qui se dit, les Combattants ne sont pas un regroupement des voyous, chômeurs ou de sans papiers mal organisés et fomenteurs des troubles. Derrière le côté festif ou agité des manifestations se profile une organisation plutôt bien huilée qui sait être efficace. Pour mémoire l'interdiction des concerts antérieurs (JB Mpiana, Fally Ipupa, …) ont été interdits en utilisant les voies les plus légales qui soient, ce qui traduit une bonne connaissance des procédures administratives et des différentes voies de recours. La problématique des échauffourées comme celles vécues ce 15 juillet à Paris sera abordée plus loin.

Quel rôle pour les artistes en temps de crise?

Deux postures3 sont possibles : celle de l'art pour l'art mettant l'accent sur la liberté absolue de l'artiste dans le processus de la création et celle de l'art engagé et enraciné dans le temps et dans l'espace.

La première posture est sourde, aveugle, muette, insensible et agueusique. Elle est nombriliste. Elle est une recherche absolue de beau pour le beau.

La deuxième posture est l'inverse exacte de la première : le processus de création s'inspire de la réalité sociale. L'art puise sa matière première dans le corps social. Il se fait par la force des choses la voix de ceux qui ne peuvent parler, il porte le cri de ceux qui, englués dans la survie quotidienne, ne peuvent plus lever la tête pour parler.

Dans le contexte actuel de l'Afrique en général et du Congo en particulier, de notre point de vue, la première posture est un luxe qu'un artiste conscient ne saurait revendiquer. Pour prendre un exemple actuel, comment peut-on ne pas évoquer d'une façon ou d'une autre, dans les productions artistiques la situation catastrophique que traversent nos compatriotes du Kasaï au nom d'un apolitisme plus ou moins assumé? Lequel apolitisme serait à géométrie variable car constamment les mêmes artistes font des clips et des chansons à la gloire des hommes de pouvoir, leur dédicacent leurs albums quand ils ne partagent par leur table. Le prétendu apolitisme est en réalité une forme d'hypocrisie ou de lâcheté. Cependant par honnêteté il convient de rappeler un élément important à prendre en compte dans la compréhension de la situation des musiciens. A en croire Adios Alemba dans une vidéo visible sur sa page Facebook ce 15 juillet 2017, les musiciens ne chanteraient pas pour le pouvoir de leur plein gré mais seraient souvent obligés. Il a explicitement cité l'exemple de son propre frère. Soit. Mais si l'on peut concevoir que le pouvoir de Kinshasa fasse pression sur les artistes, il faut néanmoins admettre qu'aller faire la campagne présidentielle d'un Paul Kagame ou d'un Denis Sassou Nguesso relève d'un choix assumé et ce au moment où ces deux dirigeants font montre d'une hostilité manifeste envers les populations congolaises...Il n'a jamais été question pour la plupart de ces artistes malheureusement le début du commencement d'une attitude révolutionnaire.

On pourrait citer Frantz Fanon sur le devoir de chaque génération de découvrir sa mission et de choisir soit de l'accomplir soit de la trahir. L'action des combattants est une interpellation à l'endroit de ces artistes pour qu'ils découvrent leur mission. S'ils choisissent de la trahir, ils en seront comptables devant l'Histoire.

Sortir de la crise?

N'étant ni musicien ni combattant, nous ne saurions avoir l'ambition de donner des leçons à qui que ce soit. Nous nous contentons de réfléchir à haute voix. D'une part il est important de crier haut et fort et par tous les moyens nécessaires le désarroi de tout un peuple meurtri et humilié depuis plus de vingt ans, d'autre part il est urgent de rappeler à l'élite du pays – y compris l'élite artistique – le rôle majeur qu 'elle doit jouer pour sortir le peuple de la situation actuelle. Ces artistes étant des leaders d,opinion doivent absolument prendre leur part dans cette lutte. Ils ne peuvent se défiler!

Ne pourrait-on pas imaginer de faire de ces concerts des opportunités pour le travail de sensibilisation. Les modalités pratiques seraient à définir et à imaginer ensemble. On peut envisager qu'une chanson en Français, en Anglais et dans les grandes langues africaines (Swahili, Haoussa, Wolof, Lingala , Kikongo...) décrivant la situation actuelle soit composée et exécutée à chaque concert des artistes congolais voire africain. On peut accepter qu'une partie des bénéfices de ces concerts soit reversée à un fond de soutien pour les populations touchées par la guerre, on peut décider qu'un petit documentaire d'une dizaine de minutes montrant la situation du Congo soit diffusée avant ou pendant le concert etc...etc...

Ces propositions ne sont données qu'à titre purement illustratifs. Cependant, chercher la confrontation à tout prix comme l'on fait JB Mpiana, Fally Ipupa ou Héritier Watanabe ou les autres est contre-productif et ne peut que contribuer à cliver la communauté. On en a malheureusement encore eu l'illustration hier à Paris4.

 

 

Pour terminer, il convient d'avoir à l'esprit que toute horizontalisation de la lutte ne profite et ne peut profiter qu'à l’oppresseur. Le temps et l’énergie engagée dans une lutte horizontale est perdue pour la lutte verticale, l'objet même du combat, du bon combat.

 

Mawâdi N Mpembi

 

1Le terme Combattants est celui par lequel depuis bientôt 10 ans se désignent les opposants au régime au pouvoir à Kinshasa installés à l'étranger.

2BMW: Beer, Music and Women. Le Congolais seait seulement interessé par la bière, la musique et les femmes.

 

3Au fait l'embargo vise tous les leaders d'opinion. Les prédicateurs évangéliques et les hommes politiques sont également visés.

 

4On peut légitimement se poser la question de savoir qui a intérêt à ces provocations sachant très bien (l'expérience l'a suffisamment montré) que dans la configuration actuelle il est impossible d'avoir un grand concert à Paris, Londres ou Bruxelles.



16/07/2017
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