Chronikin

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Voix de Congo

 

VOIX DU CONGO

(Une anthologie de poésie de Charles Djungu Simba, Editions LE CRI/BUKU, Bruxelles/Kinshasa, 2011)

 

Quand on entre dans l’anthologie insolite de Djungu Simba, on se retrouve devant un chœur hétéroclite de chantres de différents tempos, aux voix diverses, aux tons innombrables et variés, n’étant point réunis dans ce chœur pour les mêmes concerts de poésie, même s’ils chantent tous le Congo. Même si ce qui les réunit, c’est l’idée de ‘’parler du Congo’’, l’intention de chacun d’eux n’est pas la même. Cette situation montre non seulement que ces chantres n’habitent pas, n’écoutent pas le Congo de la même manière, mais montre aussi que tous n’ont pas ‘’rencontré’’, ni ‘’connu’’ le Congo, de la même manière.

A qui la faute ? Ce n’est pas en tout cas celle de Djungu Simba, écrivain, et poète congolais, parti du Congo il y a quelques années, et vivant en Belgique, avec une nostalgie permanente de son pays (le Congo).

    L’anthologie n’est bâtie ni selon les thèmes exploités par les poètes, ni selon les engagements de ceux-ci envers leur patrie, ni selon leurs projets concernant les problèmes du Congo.  Le choix des textes opéré par l’auteur du livre, est justifié par son intention de montrer sans souci didactique, ce que ressentent les poètes (congolais, et étrangers amis du Congo) pour ce pays marqué actuellement par des problèmes de tous genres : économiques, sociopolitiques, culturels, axiologiques !  L’intention voilée de l’auteur est historique : il a convoqué des poètes pour qu’ils ‘’témoignent’’…en montrant, de diverses manières, qu’ils ont mauvaise conscience de leur temps, et surtout de leur Congo.

   Il y a des poètes qui ont voulu parler au Congo comme si ce pays pouvait leur répondre (Djungu murmure :’’Dis-moi, Congo’’, Mpembi, dit :’’cher Congo’’) alors que la réponse ne peut venir que du poète lui-même, et du peuple congolais. Certains autres déplorent la violence qui déchire souvent ce pays (Monoko parle ‘’d’habit de liberté’’) sans montrer comment arrêter cette violence, et soutenir des leaders (comme Lumumba) qui, isolés de leur peuple, finiront par être assassinés (par les impérialistes et leurs alliés et valets congolais) sans soutien populaire. Il en est d’autres qui se confondent avec le fleuve majestueux de ce pays (Yoka dit : ‘’Je suis fleuve pèlerin’’) alors que ce pays doit être repensé sans cesse au sein de l’histoire, et doit être refait selon les réalités historiques qui le marquent. Beaucoup de ceux qui l’ont quitté, comme Faignond, ont le souci de le revoir plus par nostalgie que pour autre raison. Entre ces différentes  voix, il y a les voix de beaucoup d’autres poètes (de cette anthologie), qui portent divers sentiments envers le pays de Lumumba, de Mulele, et de Laurent-Désiré Kabila, sentiments qui vont de la révolte devant la misère du peuple, le sous-développement d’un pays aux richesses naturelles immenses, à la tristesse, à la colère, et à l’indignation. Un fait est certain quand on est devant ces différentes voix : Personne de tous les poètes réunis dans le livre n’est indifférent aux problèmes du Congo et de son peuple. Mais quels sont ces problèmes ?

En résumé les problèmes du peuple congolais sont l’expression du manque de correspondance entre les aspirations ou besoins du peuple et les solutions proposées à ce peuple par ses gouvernants d’abord, et ensuite par la communauté internationale.

Dans notre projet de société sorti de la revendication de l’indépendance, et qui s’est résumé en termes de ‘’Fonder la République des Congolais pour les Congolais’’, on doit trouver inéluctablement ces incontournables questions : « A quoi doit servir notre indépendance ? Et quelle est la nature de l’Etat congolais ? Est-ce un Etat néocolonial ou un Etat voué  aux intérêts du peuple congolais ?». L’indépendance devait servir les aspirations des masses populaires, et donner les solutions aux problèmes de notre peuple se trouvant dans une situation spécifique au monde : précisément situation de sous-développement dans tous ses aspects : sociohistorique, politique, économique et culturel !

  1. Les problèmes politiques : La colonisation avait mis au Congo un système politique d’asservissement, d’aliénation, d’oppression, et d’exploitation du peuple congolais, et d’exploitation des richesses naturelles au bénéfice des colonialistes (puissances coloniales, néocoloniales, et impérialistes). L’Etat colonial était érigé pour l’intérêt des puissances étrangères (La Belgique, et ses alliés). L’indépendance devait résoudre, pour notre peuple, les problèmes de liberté, de démocratie, et de sous-développement. Le nouvel Etat devait être érigé pour l’intérêt du peuple congolais et non pour les intérêts des puissances étrangères. Les problèmes surviennent quand cette libération politique n’a pas été suivie par l’indépendance économique. Conséquence, le néocolonialisme qui anime les puissances étrangères utilise la dépendance économique pour influencer la gouvernance politique. La démocratisation a mis beaucoup de temps pour apparaître au Congo. Après la dictature, c’est maintenant que le peuple commence enfin à choisir, avec un bonheur inégal, ses propres dirigeants !  Mais à quel prix ? L’intolérance, l’opportunisme, et des intérêts divers (individuels et de classes sociales) des politiciens, opposent encore différents partis politiques au Congo !
  2. Les problèmes économiques : On assiste au Congo encore aux problèmes cruciaux de sous-développement, de chômage, de salaire dérisoire des employés, ne permettant pas aux masses populaires de résoudre leurs problèmes matériels. Une certaine bourgeoisie bureaucratique et compradore minoritaire subsiste encore au Congo, par recomposition, et s’accapare des avantages économiques en oubliant les intérêts de la majorité composée des masses populaires. La mise en valeur des richesses naturelles du Congo pose encore problème, et ne sert pas encore totalement, et comme il faut, les intérêts du peuple. Les matières premières du Congo (achetées à bas prix imposés par les grandes puissances) ne sont pas toujours transformées en produits finis au Congo. Cette transformation se fait toujours aux pays des grandes puissances qui en fixent le prix, sans consulter les congolais. Conséquences : Les infrastructures ne sont pas toujours bien développées.
  3. Les problèmes socioculturels : La mise en valeurs des cultures spécifiquement congolaises n’est pas encore totalement programmée et réussie ! L’aliénation culturelle instaurée par le colonialisme qui a détruit les cultures nègres au Congo, non seulement n’est pas encore vaincue, mais a même formaté les mentalités des hommes congolais selon le modèle occidental, et a même imposé des valeurs occidentales au détriment des valeurs nègres : matérialisme inhumain, pourvoir d’argent promu en valeur suprême, détachement de la science et de la technologie de toute forme de spiritualité ! L’acculturation a affecté plusieurs secteurs de la superstructure : les croyances religieuses, les canons de beauté dans l’art, et d’autres modes d’existences : législation, régimes politiques, us et coutumes, ordre social, modes vestimentaires, cuisine, discours, langues, programmes d’enseignement.
  4. La nation : Devant la démission ou l’incompétence des institutions étatiques, et des dirigeants politiques congolais, beaucoup de congolais ne croient plus à la nation congolaise. Cette attitude a pour conséquences le fait que beaucoup de congolais ne travaillent pas en fonction des intérêts de la nation, et ne pensent qu’à leurs propres intérêts. Le tribalisme n’a pas disparu parce que les congolais ont remarqué qu’ils sont souvent mieux secourus par des frères de tribu que par les Institutions étatiques, pour résoudre leurs problèmes de vie et de survie : travail, promotion, assistance lors des épreuves d’existence ! Lors des élections, dans la formation des gouvernements, on remarque encore ces tendances tribales pour choisir des dirigeants.
  5. Les valeurs : L’aliénation culturelle a eu pour conséquences la plus grave, ce qu’on appelle ‘’la maladie axiologique’’ qui consiste à une perturbation du système de la hiérarchie des valeurs. Une société dont les citoyens ne respectent pas la hiérarchie des valeurs, est une société malade. La civilisation qui la marque est une civilisation malade qui se remarque par des fléaux sociaux : corruptions, mauvaise gestion des biens de l’Etat, gestion tribale des Institutions, pillages des richesses du pays, manque de patriotisme, promotion des déviations sexuelles, trahison de la patrie pour des intérêts personnels, individuels des citoyens, et tant d’autres fléaux sociaux !

L’anthologie de Djungu Simba n’est pas un ouvrage politique, on le sait. Mais il était nécessaire de dire ici quels étaient les problèmes que ‘’rencontrent’’ les poètes congolais dans leur pays, et que vit en silence, et chaque jour, leur peuple. Les poètes ont le devoir de les monter au monde, et surtout de les dévoiler, à leur manière, à leurs frères africains, à leurs contemporains, à leurs publics, et à leur peuple. Parmi les poètes sélectionnés, on trouve des artistes de différents niveaux : des grands poètes et des poètes moyens. Parmi eux, il y a ceux qui vocifèrent ; il y a ceux qui murmurent des confidences sur leur déception ; il y a ceux qui chantent ou dénoncent haut et fort leur situation au monde, et la situation du Congo ; il ya ceux qui annoncent des temps à venir ; il y a ceux qui pleurent devant la misère de leur peuple; il y a aussi ceux qui espèrent malgré tout le tableau sombre de la situation actuelle du peuple congolais, que cette situation changera pour le mieux !

Le grand mérite de Djungu Simba aura été de montrer que les voix des poètes congolais non seulement existent, mais doivent aussi et surtout compter parmi les voix agissantes du Congo d’aujourd’hui. L’existence et la qualité de ces voix montrent que le pays doit beaucoup attendre des poètes à cause de l’exigence poétique qu’elles portent, et qui les anime sans cesse.

Kinshasa le 01/01/2012

Pour l’Association des Ecrivains Révolutionnaires du Congo,

Et pour les Editions du Mont de Cristal

 

FRANCOIS-MEDARD MAYENGO KULONDA

E-mail : edmoncristal@yahoo.fr

Tel : + 243 81 700 55 48  (081 700 55 48)



24/01/2012
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